Depuis janvier à Kathmandu se tient la première biennale d’art contemporain (Kathmandu Art Biennale) qui se termine le 18 avril. Cette première édition, organisée par Rajan Sakya, propriétaire du groupe Kathmandu Guest House (KGH), situé dans le quartier touristique de Thamel, et fondateur du Museum of Nepali Arts (MoNA), réunit une centaine d’œuvres réalisées par près de 80 artistes népalais.

Mettant en avant le thème de la spiritualité (Spiritual Edition 2024), la sélection des œuvres exposées a pour objectif de valoriser la diversité, la créativité et le dynamisme des artistes népalais en activité. Les œuvres et les installations sont principalement exposées au MoNA, un musée en sous-sol, situé dans les locaux du KGH, ainsi que sur trois étages du Kathmandu Art House, un autre bâtiment du complexe. Plusieurs pièces sont encore disposées dans différentes salles du KGH.

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Cette manifestation est non seulement l’occasion d’admirer les œuvres d’artistes déjà reconnus internationalement, comme Hari Prashad Sharma (1937-), Madan Chitrakar (1947-), Kiran Manandhar (1957-), Mukti Singh Thapa (1958-), ou encore Lok Chitrakar (1961-), mais elle permet surtout de découvrir les travaux de la génération montante. Leurs productions relèvent à la fois de styles traditionnels ou néo-traditionnels influencés par l’iconographie bouddhique et brahmanique, ainsi que de styles plus contemporains et modernes, ou encore de l’hyper-réalisme. La disposition des œuvres, pensée par l’équipe de conservateurs du MoNA, réunit de manière originale un large éventail de productions artistiques dans un esprit de dialogue et de réflexion entre ces différentes influences artistiques.

Parmi les artistes s’inscrivant dans les courants traditionnels et néo-traditionnels, on peut citer Jeevan Moktan (1986-) qui présente une peinture intitulée « Green Tara », Udaya Charan Shrestha (1964-) et sa réalisation de la déesse Gayatri, ou encore Samundra Man Singh Shrestha (1980-) avec une œuvre intitulée « Yantra Sarvasva », illustrant Shiva et la déesse Parvati, incarnation de l’énergie de la création (shakti).

Le choix de la production contemporaine témoigne de l’effervescence actuelle des milieux artistiques de la vallée de Katmandou et d’une nouvelle génération influencée par divers courants, notamment post-impressionniste, cubiste, surréaliste ou encore relevant de l’abstraction. Les réalisations de Krishna Lama (« Desire and Avatars »), d’Asha Dangol (1973-) et de Erina Tamrakar (1970-) ou encore de Kapil Mani Dixit, pour n’en citer que quelques-uns, révèlent des œuvres plus singulières et moins conformistes.

Les dessins hyperréalistes de Manish Dhoju (1999-), travaillant principalement au fusain et au graphite, sont également remarquables. Dans le cadre de la biennale, il a notamment exposé un dessin intitulé « Royal Gold Window » représentant la fenêtre d’or au-dessus de l’entrée dans la cour Keshava Narayana du palais royal de Patan, réalisé avec un rendu minutieux et très détaillé, proche de la photographie.

Les tableaux de Rashana Bajracharya (1991-) mettent en avant des préoccupations sociétales ou environnementales en détournant des œuvres occidentales emblématiques. A travers la première, une adaptation de « la Naissance de Vénus » de Botticelli, qu’elle a intitulée « the Birth of Fear » (2023), elle dénonce la culture du viol et du harcèlement des femmes, tandis qu’avec la seconde, reprenant le « Salvador Mundi » de Léonard de Vinci, elle alerte sur la pollution plastique en figurant le Christ rédempteur entouré d’un emballage plastique et tenant en guise d’orbe, un aquarium brisé rempli d’animaux affectés par ce fléau.

Dans un style plus classique, les peintures à l’huile de Roshan Dangol (1990-) figurent des portraits ayant pour sujets aussi bien des thèmes traditionnels du monde indo-népalais, tels que Radha et Krishna (« Glance », 2023), que des peintures d’après photographie d’alpinistes célèbres, comme Reinhold Messner.

A titre personnel, une œuvre de Sujan Dangol (1981-), exécutée au stylo à encre sur papier, en grand format, intitulée « Rato Machindranath », représentant le char de cette divinité populaire dans la culture néware, a particulièrement attiré mon attention.

Une grande partie de ces artistes a été formée au sein d’institutions publiques népalaises, telles que le Central Department of Fine Arts de la Tribhuvan University et la Nepal Academy of Fine Arts (NAFA). Dans le sillon tracé par des artistes de la génération précédente, tels que Lain Singh Bangdel (1919-2002), ou plus récemment Kiran Manandhar, ils commencent à avoir une reconnaissance internationale en Asie, mais également en Europe ou aux USA.

Cette biennale, première du genre au Népal, leur permet de se faire connaître d’un public beaucoup plus large, pas seulement d’initiés (amateurs d’art, spécialistes ou collectionneurs) mais aussi de nombreux touristes et trekkers étrangers. L’organisation de cet événement semble avoir été un succès, avec près 4500 visiteurs payants (500 NRP) depuis l’ouverture, selon Jenisha Maharjan, manageur au MoNA.

Des projections et des performances (danses, récitations, création de mandala), ainsi que des conférences autour de certaines œuvres présentées, mais aussi des sujets d’actualités autour de l’art (rapatriement d’œuvres patrimoniales, importance du mécénat artistique, impact de l’intelligence artificielle, avenir de l’art népalais ou encore sur l’investissement dans l’art), ont été organisées tout au long de cette biennale.

Kunsang Namgyal-Lama, Kathmandou, avril 2024

Pour en savoir plus
https://ktmgh.com/kghpublication/NEPAL-ART-POST-VOL4-ISSUE.pdf